Il faut remonter le temps pour bien comprendre la création du public sélectif et du public ordinaire. Le 18 décembre 1968, le gouvernement de l’Union nationale votait la Loi sur l’enseignement privé, par laquelle le Québec allait commencer à transférer des fonds publics aux écoles « privées ». En profitant de leur avantage comparatif (donner accès à un environnement exclusif), les écoles privées subventionnées commencèrent leur écrémage du réseau public. La part de marché du privé subventionné au secondaire est passée de 5 % en 1970 à 20,5 % en 2020.
Au lieu de se battre contre les privilèges du réseau privé subventionné, le réseau public a malheureusement décidé de réagir à cet écrémage en allant concurrencer l’école privée subventionnée sur son terrain : celui de la sélection.
Un réseau public sélectif a ainsi été mis sur pied à la fin des années 1980 (écoles internationales, sportives, alternatives, etc.), toutes des écoles qui ont acquis le droit de refuser des élèves. La part de marché du réseau public sélectif au secondaire est de 23% selon une étude de l'Institut de recherche et d'informations socioéconomiques (IRIS) publiée en octobre 2022.
Les élèves qui n’ont pas accès aux réseaux privé subventionné ou public sélectif se retrouvent dans le 3e réseau, le réseau public ordinaire, où les élèves défavorisés et en difficulté sont surreprésentés. Cette composition du public ordinaire, de plus en plus écrémé, renforce l’attrait du privé et des projets particuliers : ce cercle vicieux agit à la baisse sur les résultats scolaires, la persévérance scolaire et la cohésion sociale.
À propos de la sélection
Les écoles sélectives ont plusieurs moyens pour sélectionner leur clientèle : -examens de sélection; -frais d’examens de sélection; -frais de scolarité; -frais pour projet particulier; -frais pour matériel obligatoire (iPad, etc.) et frais d’activités (voyages à l’étranger, etc.) -entrevue avec les parents et/ou les enfants; -participation obligatoire des parents en classe; -analyse des bulletins des années précédentes.
On peut rajouter une barrière supplémentaire qui paraît bien inoffensive: l'inscription obligatoire. Le seul fait de devoir proactivement s’inscrire à une école ou un programme suffit à diviser les « parents qui savent » de ceux qui ne savent pas, souvent les parents des milieux défavorisés disposant d’un capital social faible.
Bien sûr, le Québec ne s’est jamais doté d’une politique officielle de ségrégation scolaire: ne cherchez pas l’onglet Public sélectif sur le site du ministère de l’Éducation ! Mais l’existence des réseaux privé subventionné, public sélectif et public ordinaire est indéniable ; il s’agit dans les faits d’une politique de l’État québécois.
|
Le public sélectif: un réseau opaque
Le ministère de l’Éducation ne rend public aucun portrait détaillé de la fréquentation des projets particuliers sélectifs. Dans un avis de 2007, le Conseil supérieur de l’éducation estimait la proportion d’élèves dans des projets particuliers à 20 % en qualifiant ce chiffre de conservateur. Le ministre de l’Éducation Jean-François Roberge a avoué lors de la commission parlementaire sur le projet de loi 12 [sur la légalisation de la non-gratuité au public] n’avoir aucun portrait de la situation du public sélectif et s’est engagé à l’obtenir de son ministère. Une analyse a été réalisée en août 2020, mais n’a jamais été rendue publique. Il a fallu une demande d’accès à l’information pour l’obtenir. Cette analyse est imprécise (par exemple, le primaire et le secondaire ne sont pas distingués), mais certains faits ont frappé l’imagination, notamment des frais de scolarité au public allant jusqu’à 14 000 $ annuellement.
|
Pour aller plus loin sur l’histoire du développement du privé subventionné et du public sélectif : article Privé / public : une différence qui s’estompe du professeur Claude Lessard.