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Mixité sociale : un mois après la rentrée, comment se passe la fusion des collèges Berlioz et Coysevox à Paris ?

Mixité sociale : un mois après la rentrée, comment se passe la fusion des collèges Berlioz et Coysevox à Paris ?

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Le projet visant à fusionner dès septembre 2017 deux collèges parisiens du 18e arrondissement avait suscité une véritable fronde. Aujourd'hui, si certaines craintes subsistent et alors qu'une trentaine d'élèves de 3e ont été désinscrits par leurs parents, la rentrée semble être un succès.

Au bout de la rue Georgette Agutte, à Paris, le collège Hector Berlioz, classé réseau d'éducation prioritaire, aux allures de petite maison en brique, s’impose d’après la rumeur comme l’un des plus "pauvres" et "malfamés" de la capitale. A quelques mètres de là, le collège Antoine Coysevox, niché au milieu de beaux immeubles haussmanniens aux façades ravalées, s’érige lui en repère "de gosses de riches". Entre les deux établissements : le supermarché à bas prix Lidl, le nouveau bistrot bobo Jean Mouloud et beaucoup de préjugés. C’est là, dans ce quartier populaire du nord de Paris, à mi-chemin entre la petite ceinture périphérique et le bas de la butte Montmartre, que les autorités ont décidé de lancer, l’hiver dernier, une expérimentation d’un nouveau genre ; regrouper partiellement, dès cette rentrée de septembre, les élèves des deux établissements.

Le but ? Créer d’avantage de mixité sociale à Paris, l’une des villes les plus ségréguée de France. A l’époque, le projet suscite une vive controverse. Près d'un mois après la reprise des classes, devant le collège Hector Berlioz, où sont désormais scolarisés en 3e les anciens élèves de 4e de Coysevox, nulle trace cependant des luttes passées.

"La rentrée ? Ça va. Les profs sont très gentils, confient à la sortie Sofia, Laura, Ruth et Naelle*, quatre élèves de 3e, en jeans et baskets, parmi lesquelles trois anciennes collégiennes de Coysevox. C’est vrai que quand on est arrivé on était un peu perdues, poursuit l��une d’entre elles. L’emploi du temps avait changé, ajoute une autre, les horaires aussi avaient changé",mais les cours à Berlioz ne ressemblent pas à toutes "les choses" - les problèmes d’insécurité - qu’elles avaient entendues. La rumeur, par exemple, qui voulait que le climat scolaire soit si tendu qu’un prof a été agressé au couteau par un élève. "Ouiil y a bien eu une embrouille à la rentrée se souvient Sofia, cheveux noirs jais et visage enfantin, entre elle et une fille qui s’appelle Elsa. Une histoire de frisbee". Mais Elsa vient elle aussi de… Coysevox.

"La boule au ventre" du premier jour - "grave stressant" -a laissé place à des mines plus sereines. "C’est presque trop beau,abonde un professeur du collège, qui souhaite garder l’anonymat. L’autre jour, détaille-t-il, Berlioz s’est livré au traditionnel exercice d’alarme incendie. Dans sa classe de 3e, "les élèves sont alors sortis et remontés dans le calme. Je n’ai jamais vu un comportement comme ça, d’habitude tout le monde crie". Une anecdote qui résume selon l’instituteur l’état d’esprit de ces premières semaines.

"Rentrée bisounours" ?

Certes "c’est encore un peu tôt pour dresser un bilan", certes il a lui-même eu un différend, avec un élève pour une question de "discipline", "mais en 30 minutes le problème était réglé dans le bureau du CPE".Face à la rumeur, tenace, le professeur décrit lui une rentrée "bisounours" avec des classes agréables et "des équipes solidaires"."On est tous super contents. On a enfin les moyens de faire réussir nos élèves. Ce que j’entends sur Berlioz conclut-il, ce n’est pas du tout ce que je vis au quotidien".

Du côté des autorités, on respire. La fronde, violente, qui a dans un premier temps mobilisé les parents et les professeurs de Coysevox, très opposés au projet en l’état, semble loin derrière. Les manifestations et les grèves, organisés entre novembre 2016 et février 2017, aussi. Ces derniers s’insurgeaient alors contre le regroupement des deux collèges - expérimentation selon eux inefficace car trop limitée - via la méthode de "montée alternée" ; tous les élèves d’une classe d’âge rentrent dans un seul et unique collège, en l’occurrence les 6e à Coysevox, les 3e à Berlioz.

Malgré l’accalmie, les tensions n’ont toutefois pas complètement disparu. Des craintes subsistent, notamment autour de la réussite des élèves ou du Comité de suivi ; une cinquantaine de personnes (responsables de la mairie, représentants de profs, de parents d’élèves etc.) chargées de mettre en place et d’accompagner l’expérimentation.

En off, certains décrivent en effet l’ambiance "dialogue de sourds" qui a longtemps prévalu au sein du Comité. Pendant les discussions, avant le vote de la fusion des collèges au Conseil de Paris en février dernier, l'intégration d'un troisième collège au dispositif était un point central du débat. "On nous disait, à nous opposants, ‘on est d’accord avec vous’mais de toute façon vous ne l’aurez pas, ce troisième collège", déplorent les uns. "Lorsqu’ils arrivaient aux réunions du Comité, leur intervention se résumait à une déclaration préliminaire : ‘c’est un scandale, on vous déteste’",accusent les autres.

Trente défections à la rentrée en 3e

Conscient de l’enjeu, l’un des principaux artisans du projet, Philippe Darriulat, chargé des affaires scolaires à la mairie du XVIIIe arrondissement de Paris d’où dépendent les deux collèges, tend la main, tente un mea culpa après avoir été accusé de s’être "précipité" d’avoir privilégié une méthode "brutale, sans réelles consultations". "Les discussions auraient pu commencer trois ans plus tôt, ce n’est pas faux",reconnaît-il. L’idée de créer davantage de mixité au collège, - où la ségrégation atteint "des sommets"- réaffirmée par l’ancienne ministre de l’Education Najat Vallaud-Belkacem et soutenue par l’Académie de Paris, était dans les tuyaux depuis l’élection de François Hollande. "Mais on s’est réuni toutes les trois semaines à partir de novembre 2016, se défend-il. Soit sept réunions au total. On a discuté des dizaines d’heures, on est revenu sur les moindres détails, je me souviens d’une session où il y avait 75 questions. Les moyens ont été mis sur la table : plus d’heures de cours, plus d’encadrement, des classes réduites à 25 élèves, le maintien des options, un CPE supplémentaire à Coysevox…"

Résultat : Selon les chiffres de la mairie, sur les 150 élèves inscrits en 3e à la rentrée, 120 étaient présents. Les autres ont échappé à la carte scolaire - soit 6% d’élèves "très favorisés" à Berlioz contre 46% "pas favorisés". Et inversement 44% d’élèves "très favorisés" à Coysevox contre 13% "pas favorisés" - tantôt par le jeu des options, tantôt par une déclaration de fausse adresse ou le choix du privé. Marcel*, père d’une élève de 3e, inscrite l’année dernière à Coysevox est de ceux là. Pour la première fois cette année, sa fille ne fera pas sa scolarité dans le public.

"On nous a fait passer pour des salauds de bourgeois"

"On nous a fait passer pour des méchants, des salauds de bourgeois. La mixité je la vis pourtant au quotidien. Le père de ma femme, un immigré espagnol, travaillait sur les chantiers, mon grand-père était italien",raconte Marcel qui travaille lui-même dans le social, au sein d’une collectivité territoriale. On est devenu les petits favorisés, blancs, bobos mais le projet de fusion a été préparé à la hâte avec une communication ultra clivante : Si certains jeunes étaient en difficultés à Berlioz - des jeunes réduits à leurs origines, 50% de noirs, 50% de portugais en gros - c’était parce que les autres de Coysevox ne l'étaient pas." Un argument que Marcel, militant de gauche comme la plupart des parents du quartier, "endetté et souvent à découvert", a refusé. Sa fille a suivi une copine dans le privé. Une copine maghrébine, de confession musulmane",précise-t-il.

La fusion des deux collèges, dans ce coin mixte de Paris, a ainsi ouvert le débat autour d’un rapport de classes que tous croyaient apaisé. "Vous, de toute façon, les seuls Noirs que vous connaissez ce sont vos femmes de ménage", se sont vus reprochés les opposants de Coysevox. "C’est pas plus mal que les petits Noirs se bagarrent entre eux, ça fait toujours ça de moins", aurait à son tour déclaré, dans un flot de propos racistes, un interlocuteur opposé au projet. "Voilà où en était par moment le niveau intellectuel du débat" regrette François Bohn, élu représentant de parents d’élèves, opposé lui aussi au regroupement des collèges.

"Élargissons le périmètre"

Au-delà de l’expérimentation mise en place à Berlioz et Coysevox où la rentrée s'est également "bien" passée, et de celle menée, en parallèle, dans deux autres collèges du XVIIIe arrondissement, l’élu s’interroge sur la suite. Opposé au projet de fusion en l'état, il explique soutenir la mixité. Encore faudrait-il élargir le dispositif "aux écoles privées par exemple ou encore à d’autres établissements de la capitale" de manière à résoudre véritablement la question des inégalités. "Lorsqu’on a évoqué la possibilité d’inclure un troisième collège, on nous a fait le coup de la distance, détaille de fait François Bohn. Or, quand on regarde sur une carte on s’aperçoit qu’à distance à peu près égale, entre Berlioz et Coysevox, on trouve le collège Mallarmé. Huit arrêts de bus plus loin, sur la ligne du 95, on arrive au collège Jules Ferry, Place de Clichy puis au Petit Condorcet. La mixité oui, mais élargissons le périmètre, prenons le temps, donnons-nous vraiment les moyens".

En dépit des critiques, des craintes, le directeur du collège Berlioz, Farid Boukhelifa, se montre optimiste. "On n’a jamais douté, on répondra à toutes les questions. On croit toujours qu’en REP les enseignants sont des sous profs, que les élèves sont mauvais. C’est faux. A Berlioz, on a sept professeurs agrégés. On a de très bons élèves. Il y a une vraie volonté parmi les équipes de les faire réussir, s’enthousiasme-t-il. Ca va être une expérience formidable. A cet âge là, les amis qu’on se fait sont souvent ceux que l’on garde toute notre vie." Quant aux problèmes de discipline, les règles sont très claires. Les élèves savent qu’en face d’eux ils ont des adultes fermes. On peut être dur mais on fera tout pour les aider. Ces gamins ce seront nos ambassadeurs", se réjouit Farid Boukhelifa, qui a lui-même bénéficié à l’école de cette mixité sociale, qui l’a conduit ensuite, en tant que directeur, à parcourir les établissements les plus difficiles de France, de "Marseille au 9-3".

"Berlioz est devenu un très bon établissement"

"Berlioz a beaucoup évolué, ajoute Alexandra Nizakparent d’élèves, membre du Collectif Apprendre Ensemble, favorable à la fusion des deux collèges. C’est devenu un très bon établissement, on voit le travail fait par la nouvelle direction". Par ailleurs, l’offre pédagogique au sein des deux collèges a été maintenue : "Les classes bilingues, allemand, espagnol, chinois ou encore les horaires des enseignants sur les deux collèges, les activités sportives comme le rugby. (…) Ca a été très violent au départ, résume Alexandra Nizak, mais à partir de l’adoption du projet au conseil de Paris, les discussions au Comité de suivi se sont pacifiées. On a même vu certains parents changer de camp". "Il reste des parents inquiets, conclut Alexandra Cordebard, adjointe aux affaires scolaires à la mairie de Paris. Mais une fois que les gens se parlent, partagent ensemble un même projet, ça se passe bien. La mixité est un facteur de réussite pour tous. D'ailleurs nous poursuivrons les discussions, y compris avec le privé".

Devant le collège Berlioz, à la sortie des classes, la sonnerie retentit. Des grappes d’adolescents sortent, s’arrêtent, discutent quelques minutes. Loin de l'agitation des adultes...

*Les prénoms ont été changés

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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne